En 1973, Jean Laude publie Diana Trivia, son huitième recueil de poèmes. Très proche pendant un temps des surréalistes (comme André Breton ou René Char), son écriture illustre la volonté de se détacher de toute production littéraire précédente et de laisser parler le subconscient. Il ne s’agit donc pas de donner du sens à notre lecture de ce texte mais de se laisser porter par le poids des mots et leur résonnance. L’ouvrage est illustré par des lithographies de César Domela, un artiste néerlandais connu pour ses travaux sur l’abstraction.

Plongeons un peu plus en détail dans le contenu du livre !

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"Ouvrir le carrefour"

Dans la mythologie romaine, Diane était la déesse de la chasse et des enfers. Elle est également connue sous le nom de Trivia, du latin "trivium", qui signifie "croisement". La déesse est donc la gardienne des croisements et principalement ceux à trois chemins symbolisant les enfers. L'ouvrage Diana Trivia, fidèle à son personnage éponyme, présente alors une déambulation à travers les mots grâce à une série de 10 "Explorations" encadrée par une "ouverture" et une "fermeture" du carrefour. Nous autres lecteurs avançons dans le texte sous le regard de Diane.
 

"Se dépouiller et avancer et effacer"
"Or je m’avance vers le blanc"
"Il le faut, avancer, mots après mots"
"Avancer pas à pas sur le chemin immaculé"

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La page devient alors paysage et les mots chemin

Diana Trivia peut se lire comme l'art poétique de Jean Laude : il dépeint sa manière d'écrire, de trouver l'inspiration et comment les mots se forment sur la page. Il ne cesse de créer des parallèles entre le monde des mots et celui qui nous entoure. La page devient alors paysage et les mots chemin.
 

"Entre les phrases et les mots s’ouvre un chemin",
"Le paysage donc est blanc (un paysage ouvert) : des signes au hasard fermement s’y disposent" 
 

Tous nos sens sont stimulés à la lecture de cet ouvrage. Ce qui importe en premier lieu pour l'auteur, ce sont les sonorités plus que le sens du texte. Jean Laude déconstruit le langage pour que les sons deviennent signifiants. Les jeux sur les sons parsèment le texte :
 

"La page neuve encore / la plage veuve qui se creuse"
"Anéantie d’elle-même nantie"
 

La vue est également sollicitée avec des illustrations typiques du style de Domela par leur forme géométrique. Elles ne viennent pas seulement illustrer le texte mais se fondent dans les mots pour dialoguer avec eux. Les mots et les images s‘entremêlent pour former un contenu nouveau. Dans son hommage à Jean Laude, Louis Roux disait même que "Jean Laude le poète travaille l’espace de sa page, comme Jean Laude l’historien travaille son matériau ; [...] la page est toile, et toute l’aventure est d’abord sur le signe"2. Le jeu sur la forme du texte est très important pour Jean Laude. L’auteur s’amuse en s’éloignant d’une disposition classique du texte : certains mots sont placés verticalement, d’autres mis en italiques, l’auteur en accentue certains par la taille…

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Les mots eux-mêmes deviennent alors images dans Diana Trivia : le texte est mis en scène et va venir mimer les mouvements du contenu. Sur la page présente ci-dessous, les espaces blancs de la page et l’espacement des mots laissent serpenter le vide pour illustrer ce passage :
 

"Entre les phrases et les mots s’ouvre un chemin."

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La quête de l'écriture du blanc

Les thématiques de l’effacement ou de l’absence sont omniprésentes dans Diana Trivia. Le vide se reflète dans de grands espaces laissés vierges au fil des pages. Telle une litanie, les "sinon le poème s’annule" scandent les différentes parties de texte. Jean Laude semble obsédé par cette perte de contrôle de l’écriture :
 

"Effacer les couleurs une à une les couleurs."
"Entre les pages reliées, les phrases et les mots disent l’absence"
 

Ce texte laisse finalement peut-être percevoir l’angoisse de l‘écrivain en manque de mots. 
 

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Des années plus tard, Jean Laude poursuit sa quête de l’écriture du blanc dans un autre ouvrage : Le miroir blanc3 (à admirer à la bibliothèque du MAMC+ le temps d’une exposition au printemps 2022). Il pousse encore un peu plus loin sa réflexion en associant son texte à des illustrations réalisées par Robert Julius Jacobsen. Totalement blanches, elles jouent simplement avec le relief de la page. Cette obsession connait alors son apogée dans cet illustré presque magique qui tente de mettre en mots le vide. 
 

"Le blanc menace
(le blanc : non pas la mort.
Mais :
Le blanc menace, lieu hors de toute inscription)"
"Se couvrira la feuille blanche, au gré du vent du centre"
 

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Centenaire Jean Laude

Jean Laude, poète et historien du XXe siècle, est principalement reconnu pour son enseignement dans le domaine de l’art. Passionné notamment par les arts africains et le surréalisme, il développe sa collection d’ouvrages avec bon nombre de livres théoriques, de grands illustrés, de revues rares et précieuses. À sa mort en 1983, sa fille Corinne Pidancet-Laude décide de faire don de la bibliothèque de son père au musée dont la ville avait accueilli de nombreux colloques d’histoire de l’art.

La bibliothèque du MAMC+ s’est alors engagée à conserver l’unité de ce fonds et à donner le nom du généreux donateur à la bibliothèque.

Le Musée organise une exposition à la bibliothèque Jean Laude en cette année 2022, centenaire de la naissance de l’écrivain, afin d’honorer et mettre en valeur ce généreux don.

Nous vous invitons à venir la découvrir à partir du mois de Mai 2022 à la bibliothèque du MAMC+, située au 1er étage du Musée.

En savoir plus sur la bibliothèque Jean Laude

Site Internet consacré à Jean Laude

À lire également sur le blog : 

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Jean Laude, Diana Trivia, lithographies de Domela, Vaduz, Brunidor,1973.
Les Abstractions Tome 1 - La Diffusion des abstractions, précédé d'un Hommage à Jean Laude par Louis Roux [actes du 5e colloque d'histoire de l'art contemporain, Saint-Étienne, 27 février-2 mars 1985], Saint-Étienne, CIEREC, 1986, p.5.
3 Jean Laude, Le Miroir blanc, gravures de Robert Jacobsen, Asnières, Michel Nitabah éditeur, 1988.